L’histoire culinaire lyonnaise 31/01/2020
La cervelle de canut... une restauration des méninges ?
S’il est bien une spécialité au nom qui détonne et étonne, c’est celle-là… Certes, elle ne surprend plus grand-monde à Lyon, mais la cervelle de canuts fait toujours son petit effet auprès des touristes et des visiteurs de passage. Ce classique des cartes des restaurants et bouchons lyonnais illustre bien ce qu’est la cuisine entre Rhône et Saône : une affaire de simplicité et de partage. En somme, une bonne leçon pour tous les cuisiniers en apprentissage ou intérim dans la région !
L’histoire d’un nom pas comme les autres : la cervelle du chef d’un restaurant ou des canuts eux-mêmes ?
A qui doit-on la paternité – ou la maternité, vu l’historique des mères lyonnaises – de la cervelle de canut ? Vaste question dont la réponse se fait un peu attendre… Certaines sources évoquent une origine bien lyonnaise, liée à un établissement historique de la capitale des Gaules : le restaurant Léon de Lyon, qui a vu passer des cohortes de cuisiniers intérimaires et autres plongeurs en travail temporaire. Il se dit en effet que le chef Paul Lacombe en serait le… cerveau. Ce dernier, qui a ouvert son restaurant rue Pleney, sur la Presqu’Île, courant 1904, aurait introduit la cervelle de canut à sa carte en 1934.
“La cervelle de canut remplaçait la cervelle d’agneau…”
Oui, mais voilà… L’on retrouve trace de la cervelle de canut dans un dictionnaire de 1894 : un volume consacré au parler lyonnais, conçu par Clair Tisseur, l’évoque déjà, la définissant comme un “claqueret”, un “fromage blanc”. De quoi dater sa création d’avant le XXème siècle. D’ailleurs, selon Colette Guillemard, Christian Millau et Roland Sabatier, dans leur ouvrage Les Mots de la cuisine et de la table :
“Pour le canut, ouvrier de la soie assez peu fortuné, ce mets (la cervelle de canut) remplaçait la cervelle d’agneau que ses moyens ne lui permettaient pas de s’offrir.”
Un plat de canut, aujourd’hui à la carte des restaurants lyonnais et cuisinés par chefs et cuisiniers
Etant donné que les canuts font principalement parler d’eux au XIXème siècle, avec, à l’époque, près de 40 000 compagnons et 8000 chefs d’ateliers, propriétaires de leurs propres métiers à tisser, on a bien du mal à croire que la cervelle de canut a attendu 1934 pour s’extirper des méninges de Paul Lacombe et voir le jour dans nos assiettes. Aujourd’hui, il est clairement admis que ce claqueret, ainsi nommé parce que son fromage blanc doit être bien battu, accompagnait les pommes de terre et l’éventuelle charcuterie constituant le repas quotidien du canut tout au long du XIXème siècle. Et que cette dénomination de “cervelle de canut” rappelle le douloureux mépris qu’entretenait la bourgeoisie lyonnaise à l’égard de nos ouvriers de la soie ! Autant dire que c’est un sacré pied de nez que de voir la cervelle à la carte de nos meilleurs restaurants, travaillées par des chefs et cuisiniers confirmés !
Une recette simplissime, qu’un intérimaire en restauration doit savoir cuisiner !
Comme est-elle préparée, cette cervelle si appréciée ? L’on pourrait poser la question aux cuistots de la région qui ont fourbi leurs marmites aux fourneaux des bouchons et restaurants locaux : nul doute qu’un commis de cuisine en intérim ou en apprentissage à Lyon sait préparer ce fromage blanc mariant le goût à la simplicité. Le Point en donnait dernièrement une version travaillée par le chef Mathias Hanh :
- 250 grammes de fromage blanc (faisselle)
- 1 échalote
- 1/4 d’une botte de persil plat
- 1/4 d’une autre de cerfeuil
- 1/4 d’une dernière d’estragon
- 2 cuillères à café d’huile de noix
- 1 cuillère à café d’huile d’olive
- 2 cuillères à café de vinaigre de vin
- Une bonne portion de pain de campagne
- Poivre du moulin
- Fleur de sel
A travailler au cours des expériences en intérim dans les bouchons lyonnais !
Jeunes cuisiniers, intérimaires de nos bouchons… A vous de vous l’approprier ! Le canut, lui, dégustait sa cervelle de la façon suivante, que décrit un auteur lyonnais en 1841 :
“La nourriture du canut consiste, à déjeuner, en une espèce de fromage blanc qu’il mêle avec de l’ail, du beurre et de petits oignons ; à dîner, il mange du petit-salé ou des pommes de terre avec le même fromage blanc ; à souper, car il soupe, il revient pour la troisième fois à son fromage bien-aimé accompagné d’un morceau de merluche frite…”
Vous l’aurez compris : la cervelle de canut accompagne un plat de résistance. Et, si elle n’est pas la spécialité la plus complexe de la gastronomie des gones, elle reste un classique qu’un apprenti cuistot un peu fier de sa ville doit savoir préparer !
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