L’histoire culinaire lyonnaise 31/01/2020
La mère Jean, pour mieux comprendre ce qu'est la restauration à la lyonnaise
C’est tout un pan de l’histoire lyonnaise que l’on trouve chevillée à celle de la mère Jean. Pas la plus célèbre des mères de la capitale des Gaules, mais pas la moins emblématique : car la mère Jean, c’est aussi un peu de la rue des Marronniers, bien connue des amateurs de bouchons. Focus sur une femme qui a su inspirer quelques générations de cuisiniers et d’intérimaires apprenant le métier.
Aux origines de la mère Jean : un petit restaurant de la rue des Marronniers…
Petit salé, saucisson, tripes et andouillettes… La mère Jean, c’est une vision lyonnaise de la cuisine, une approche traditionnelle de la gastronomie qui perdure depuis des années rue des Maronniers. Car c’est dans cette fameuse artère, poumon de la tradition des gones, que Françoise Donnet, de son vrai nom, a créé son petit établissement en 1923. Au numéro 5, pour être exact, à quelques encablures du théâtre du Cothurne, institution de poche qu’installa Roger Planchon sous un autre nom en 1952.
Cuisiniers et intérimaires y ont servi des centaines de journalistes
Le restaurant de Françoise Donnet, la Mère Jean, est rapidement devenu le repères des journalistes du Progrès, qui en firent leur cantine. Le siège du journal était alors voisin : il occupait l’actuel bâtiment de la Fnac encadré par ses deux cariatides, rue de la République. Mais les comédiens voisins ne manquaient pas d’y passer non plus et la mère Jean reste l’un des établissements que Pierre Arditi cite en premier lorsqu’on l’interroge sur ses bons plans gastronomiques :
“La Mère Jean, où je retourne souvent. […] Chaque fois que je reviens à Lyon, je retourne en pèlerinage, rue des Marronniers. Je traverse le porche qui menait au théâtre de Cothurne, aujourd’hui disparu. Je croise dans cette cour où l’on aperçoit maintenant l’arrière du CNP Bellecour, le fantôme de l’adolescent que j’étais… Et je pleure !”
La reine des cardons succède à la mère Jean
La cuisine… et le caractère. Car c’est le dénominateur commun à toutes ces dames : de la mère Brazier à la mère Bizolon, en passant par nos deux mères Jean et Biol, ce sont une poigne et une volonté de fer qui dirigeaient commis et seconds en cuisine. Une bonne école pour les intérimaires de tout genre ! Philippe Rabatel, qui a longtemps travaillé aux côtés de la mère Léa, racontait d’ailleurs qu’il a mis bien longtemps avant d’oser lever la tête et prendre la parole lorsque Léa Bidaut, “faible femme, mais forte en gueule”, était dans le coin.
La recette d’une mère lyonnaise à poigne ?
“Elles avaient toutes un sacré caractère !”, confirme Jacotte Brazier, petite fille d’Eugénie, dans l’annuaire 2016 des Toques Blanches Lyonnaises. “La cuisine a toujours été un monde d’hommes. Pour s’imposer, il fallait avoir un gros caractère, savoir raisonner, agir comme un homme, sans être pour autant un grand cheval qui va faire du gringue à tous les cuisiniers du coin. Pas simple.” La mère Jean ne dérogeait pas à la règle, ni la mère Biol, bien que cette dernière ait officié dans un monde penchant vers le modernisme.
Des dames qui transmettent leur savoir-faire à des cuisiniers en intérim ou en apprentissage
Dans l’univers des mères, la place des hommes, c’est à la salle, comme le raconte Dominique Brunet, spécialiste du sujet dans le même magazine : “Dans ces établissements très simples, qui proposaient des plats du jour, l’homme était en salle et la femme en cuisine.” Comble de la victoire pour nos chantres féminines de la gastronomie locale, ce sont petit à petit les hommes qui se sont réinvités dans leurs cuisines… comme apprentis, cuisiniers en intérim, tous aspirant à égaler le savoir-faire de ces dames. D’ailleurs, la Mère Jean, toujours au 5 rue des Marronniers, est aujourd’hui tenu par un chef… Pascal Perret.
Le savoir-faire se transmet : les plats qu’il faut y déguster vont de la quenelle de brochet à la salade lyonnaise. Le vrai bouchon !
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